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Thérapeutique Dermatologique
Un manuel de référence en dermatologie

Lésions blanches buccales

28 septembre 2012, par RENAUD-VILMER C. & CAVELIER-BALLOY B. & RAGOT J.-P.

Les lésions blanches de la muqueuse buccale (le terme de kératose est abandonnée car il s’agit d’un terme histologique pour une description clinque d’une lésion) sont faites de lésions élémentaires souvent liées à une anomalie de la kératinisation. ) dont les étiologies sont nombreuses. Il est important d’en faire le diagnostic en raison du caractère précancéreux pour certaines et celui-ci doit toujours être étayé par un examen anatomopathologique. L’examen clinique recherchera toujours l’association à des lésions cutanées et à d’autres lésions muqueuses (génitales ou anales). Cliniquement elles peuvent se présenter sous des aspects variables : papules blanches inférieures à 5 mm, légèrement surélevées ; réseaux dendritiques ou circinés, montrant des images linéaires ; plaques formées de papules confluantes légèrement en relief ; lésions franchement papillomateuses donnant un aspect verruqueux. Ces lésions peuvent être uniques ou multiples et peuvent s’associer à des zones érosives ou à des zones atrophiques, bourgeonnantes ou nodulaires. 

1 - LES LEUCOPLASIES

La leucoplasie se définit comme une lésion blanche de la muqueuse buccale qui ne peut être détachée par grattage et ne correspondant pas à une localisation buccale d’une maladie connues.

Le tabac est l’étiologie dominante. La localisation de la lésion tabagique dépendra de la façon de consommer le tabac. Ces lésions ont une évolution variable avec un risque de transformation maligne évalué de 5 à 38 %.

Les leucoplasies tabagiques peuvent régresser lorsque le patient cesse de fumer. Cependant, l’épidémiologie des leucoplasies de la muqueuse buccale recouvre celle des cancers de la cavité buccale en ce qui concerne l’âge, le sexe et les habitudes tabagiques. Elles surviennent surtout chez l’homme, mais des études récentes montrent une progression importante de la fréquence chez les femmes. L’âge en moyenne est de 50 ans, mais celui-ci s’abaisse de façon indiscutable. 10 % des cancers de la cavité buccale surviennent chez des patients ayant présenté une leucoplasie buccale. Le temps de latence entre la découverte d’une leucoplasie et sa dégénérescence est en moyenne de 10 ans.

  • Facteurs associés : l’abus d’alcool potentialise l’action du tabac. Les autres facteurs impliqués sont une mauvaise hygiène, une infections à Candida albicans, la consommation de noix d’arec, et les atrophies de la muqueuse au cours de certaines anémies et déficit vitaminique.

1.1 - CLINIQUE

Les lésions de leucoplasie sont asymptomatiques. On distingue :

– les leucoplasies homogènes. plaque blanchâtre, lisse, ou parquetée, souple, sans induration sous-jacente, indolore et découverte fortuitement.

– des leucoplasies inhomogènes. Leur surface est irrégulière, pouvant prendre un aspect verruqueux associé à des plages érythémateuses ou érythroplasiques (érythro-leucoplasie), des lésions nodulaires ou ulcérées. Ces caractères cliniques particuliers en font des lésions au risque élevé de cancérisation.

Cependant malgré un certain parallélisme entre l’aspect clinique et histologique, le seul aspect clinique ne permet pas de prédire la lésion histologique sous jacente. Les leucoplasies érythro-leucoplasique ont un risque de transformation maligne entre 28 et 38 p. 100 et les leucoplasies verruqueuses entre 5 et 11 p. 100.

Une ou plusieurs biopsies des lésions est indispensable pour leur prise en charge

1.2 - ANATOMOPATHOLOGIE

Ces leucoplasies ont des caractères histologiques communs : une acanthose associée à une kératinisation ortho ou parakératosique. Ces images histologiques correspondent en générale aux leucoplasies homogènes.

Il faudra rechercher des atypies épithéliales. Actuellement, pour la prise en charge de ces lésions, on a tendance à ne différencier que 2 grades : les NIE légères et Les NIE moyennes à sévères

1.3 - TRAITEMENT

L’exérèse chirurgicale représente le traitement de référence car elle permet un examen histologique de toute la lésion. Les exérèses se feront en bloc en passant à la périphérie de la lésion de 1 à 3 mm et en allant en profondeur jusqu’au plan musculaire. La marge sera d’emblé de 5 mm en présence d’une NIE sévère.

Pour les NIE légère, le laser CO2 semble idéale, en raison de son innocuité, de sa facilité de réalisation et de sa faible morbidité. Elle tend à remplacer l’électrocoagulation qui peut être à l’origine de phénomènes cicatriciels douloureux et rétractiles.

La cryothérapie donne d’excellents résultats mais ne pourra être effectuée que par un praticien expérimenté,

La radiothérapie est formellement contre-indiquée dans ce genre de lésion.

L’application de kératolytiques et l’utilisation des rétinoïdes (acide 13-cis-rétinoïque, solution à 0,01 p. 100), en application locale quotidienne, mènent dans certains cas à la régression de lésions leucoplasiques sans atypie ou à type NIE légère.

L’utilisation de la vitamine A et les rétinoïdes par voie générale ont été délaissés en raison des résultats très décevants (récidives presque constante à l’arrêt) et de leur toxicité importante.

1.4 - MESURES D’HYGIÈNE COMPLÉMENTAIRES

Ces leucoplasies impliquent également d’autres mesures d’hygiène locale et générale : réduction des boissons alcoolisées, mise en état de la denture, avulsion des dents et des racines qui ne peuvent pas bénéficier d’un traitement conservateur, suppression du tartre sus- et sous-gingival, suppression des prothèses traumatisantes, reconstruction des dents faisant l’objet d’un traitement conservateur, hygiène bucco-dentaire quotidienne.

1.5 - SURVEILLANCE POST-OPÉRATOIRE

La surveillance de ces leucoplasies traitées ou non traitées doit se poursuivre indéfiniment, au minimum une fois par an. Tout doit être fait pour obtenir l’arrêt définitif du tabac. En l’absence de régression, une biopsie-exérèse doit être proposée.

Mais la guérison de la lésion et l’arrêt du tabac ne signifie pas l’arrêt de toute surveillance, (risque de récidive ou de nouvelle lésion).

2 - LÉSIONS BLANCHES D’ORGINE DERMATOLOGIQUE

2.1 - LICHEN PLAN

Le lichen plan est une maladie inflammatoire cutanéo-muqueuse d’évolution chronique, touchant 0,5 à 2 p. 100 de la population. Les formes buccales isolées prédominent faisant de cette maladie l’une des principales affections de la muqueuse buccale (5 p. 100 des consultations de stomatologie médicale).

L’approche thérapeutique devra tenir compte de la forme clinique en distinguant la forme quiescente, d’autres formes (bullo-érosive, verruqueuse ou atrophique), où le risque de transformation maligne est unanimement reconnu. L’estimation du risque de transformation maligne semble être de 1 p. 100 environ toute forme clinique confondue.

Étiopathogénie

Les hypothèses étiologiques restent nombreuses : facteurs auto-immuns, facteurs génétiques, rôle du virus de l’hépatite C, action induite par certains médicaments, rôle des matériaux métalliques de prothèse.

Formes cliniques

Forme quiescente

Il s’agit de lésions blanches dont l’aspect peut être variable, soit en réseau prenant un aspect réticulaire, soit sous la forme de papule ou de plaque d’aspect souple. Il siège essentiellement dans la partie postérieure de la joue. Il est découvert fortuitement ou à l’occasion d’un lichen cutané ou plus rarement à l’occasion d’une hypersensibilité ou de picotements au contact des aliments.

Forme bullo-érosive

Il se présente plus souvent sous l’aspect de grandes bulles, qui laissent place très rapidement à des érosions douloureuses rouge vif et vernissé, au fond œdémateux et de forme irrégulière. On observe très souvent en périphérie un aspect habituel de lichen réticulé, ponctué ou circiné. À ce stade, la lésion est douloureuse et gêne l’alimentation et les soins bucco-dentaires habituels.

La localisation gingivale est fréquente réalisant de larges plages érythémateuses au niveau de la gencive attachée (gingivite érosive) qu’il faudra distinguer d’une localisation d’une maladie bulleuse telle qu’une pemphigoïde bulleuse. Cette localisation gingivale érosive doit faire rechercher une autre localisation muqueuse (génitale ou anale).

Forme atrophique

Elle se développe généralement sur les sites des lésions bullo-érosives et surviennent sur les joues, mais aussi sur le dos de la langue sous la forme de placards lisses, associés à une dépapillation. Sur ces placards, des bandes de lésions verruqueuse vont s’installer et creuser des sillons qui vont enserrer la langue et lui donner un aspect atrophique. Au sein de ces placards atrophiques et de ces bandes verruqueuses peuvent apparaître des zones érythroplasiques suspects.

Lichen verruqueux ou hypertrophique

Il s’agit de lésions verruqueuses blanches papuleuses ou en placard survenant généralement sur une plage de lichen papuleux ou sur une zone d’atrophie.

Anatomopathologie

Le lichen plan se caractérise par une hyperkeratose ortho ou parakératosique, une hyperacanthose régulière, avec formation de corps apoptotiques associé à un infiltrat inflammatoire lymphocytaire en bande au contact avec la basale, associé à une exocytose dans les couches basales. 

Traitement

Le lichen quiescent dans sa forme en réseau ne nécessite qu’une simple surveillance. L’apparition de petites zones inflammatoires, bullo-érosives ou verruqueuses nécessite un traitement. Le traitement repose essentiellement sur la corticothérapie locale.

Traitements locaux

– La corticothérapie locale est prescritesous forme de glossettes de 17-valérate de bétaméthasone (Buccobet®). La dose varie entre 8 à 10 glossettes par jour pendant des périodes de 10 à 15 jours, en diminuant la dose par période de 10 jours lorsqu’un effet positif est enregistré. C’est le seul traitement ayant fait l’objet d’études randomisées contre placebo.

D’autres traitements locaux peuvent être utilisés dans les formes érosives rebelles : mélange Diprolène®/Orabase® ou bain de bouche composé dans lequel on peut ajouter dans chaque verre matin et soir 1 comprimé de Solupred® 20 mg . La Ciclosporine en bain de bouche ou en application locale, et le Protopic en application locale, ont montré une certaine efficacité sur les lésions inflammatoires ou érosive, mais ces traitements ne sont pas proposé au long court.

Sur les lésions hyperkératosiques sans érosions, un traitement à base d’acide rétinoïque (Aberel®) en application locale peut être utilisé en tant qu’agent kératorégulateur. Mais son emploi est décevant à long terme, la réapparition des lésions survenant après l’arrêt du traitement.

– Une exérèse chirurgicale doit être proposée pour les lésions hyperkératosiques rebelles.

Traitements par voie générale 

– La corticothérapie per os (à la dose de 1,5 à 1 mg/kg) peut être utilisée dans les formes bullo-érosives étendues et résistantes aux traitements locaux, mais il existe très vite une cortico-dépendance, souvent dès 20 mg, et un effet rebond à l’arrêt de celle-ci est à craindre malgré un relais avec une corticothérapie locale. Pour cette raison il ne faut réserver ce traitement qu’aux formes rebelles à tous les autres traitements.

– Dans les formes bullo-érosives isolées, certains stomatologues, proposent des infiltrations sous-lésionnelles, avec de fines aiguilles courtes, d’une suspension de corticoïdes

– Dans les formes hyperkératosiques, l’utilisation par voie générale de rétinoïdes tels que l’étrétinate (Tigason®) ou l’acitrétine (Soriatane®) ont montré une certaine efficacité mais n’empêchent pas les récidives à l’arrêt.

Traitement complémentaire 

Dans les atteintes gingivales, il existe souvent une surinfection du parodonte. Il faut utiliser en complément, des traitements antibiotiques tel que le Birodogyl®. Il peut aussi exister des mycoses buccales surajoutées, qu’il faudra traiter. Les couronnes métalliques seront dans la mesure du possible remplacées par des couronnes en céramiques, mieux tolérées. Les cures thermales à Saint-Christau ont indiscutablement donné de bons résultats aussi bien par l’action locale des eaux ferro-cuivriques que par la rupture du cadre de vie quotidien. Notons qu’en général les patients trouvent une amélioration de leur lichen pendant les vacances en dehors du lieu de vie habituel.

Stratégie thérapeutique

Il faudra garder à l’esprit que le risque de transformation maligne avoisine 1 p. 100 et qu’une surveillance rigoureuse est donc nécessaire. Les prescriptions seront graduées, en privilégiant les corticoïdes locaux

Il n’y a malheureusement pas de traitement efficace au stade atrophique, d’où la nécessité de traiter systématiquement et au long cours les lésions érosives et inflammatoires à l’origine de cette atrophie, celle-ci pouvant favoriser la survenue d’une transformation cancéreuse.

 L’efficacité relative des traitements et leurs effets limités dans le temps n’empêchant pas les récidives, impose une surveillance très stricte du lichen buccal. Cette surveillance devra être faite tous les 3 à 6 mois suivant les formes évolutives et la gravité des lésions initiales. Les formes érosives, atrophiques et verruqueuses doivent être surveillées avec particulièrement d’attention.

Mesures d’hygiène complémentaires

Comme devant toute lésion de la muqueuse buccale, les recommandations habituelles seront faites : suppression ou forte diminution de la consommation du tabac, de bétel, du café et de l’alcool, et des aliments agressifs pour la muqueuse (épices) ; respect d’une bonne hygiène buccale (avec une brosse à dent douce, mise en état de la bouche, élimination des agressions gingivales et détartrage fréquent) ; remplacement des couronnes métalliques par des couronnes en céramique et, respect d’une bonne hygiène de vie et diminution du stress ;

2.2 - LUPUS ÉRYTHÉMATEUX 

Dans 50 p. 100 des cas de lupus érythémateux systémique, il a été rapporté des lésions buccales intéressant particulièrement la partie moyenne de la joue, la lèvre inférieure ou le palais. Il s’agit de lésions prenant l’aspect d’un fin liseré leucoplasique avec de courtes stries radiées circonscrivant parfois une plage rouge atrophique. Les lésions blanches du lupus doivent être distinguées d’un lichen plan. Le risque de dégénérescence n’est actuellement pas connu.

Traitement

Souvent les lésions sont asymptomatiques et une abstention thérapeutique est tout à fait licite. Les antipaludéens de synthèse (hydroxychloroquine, 400 mg/j), efficaces sur les lésions cutanées le serait un peu moins sur les lésions de la muqueuse buccale. On peut, si les lésions buccales sont gênantes (érosions), prescrire une petite corticothérapie locale (Buccobet®) .

2.3 -  LANGUE GEOGRAPHIQUE

(voir chapitre) 

3 - LÉSIONS BLANCHES D’ORIGINE INFECTIEUSES

3.1 - CANDIDOSES CHRONIQUES

Les candidoses buccales chroniques peuvent être à l’origine de lésions blanches verruqueuses de siège en général rétro-commissurales. Ces lésions peuvent être associées à d’autres lésions telles qu’une perlèche bilatérale, une glossite losangique médiane associées à des lésions palatines en regard. Il faut rechercher un facteur familial (association à des endocrinopathies) ou une immunodépression sous jacente.

Traitement

En cas d’échec des traitements antifongiques habituels, locaux ou généraux, on procédera à l’exérèse chirurgicale de la lésion en faisant un contrôle histologique total de la pièce car un risque de transformation cancéreuse est décrit.

3.2 - LEUCOPLASIE ORALE CHEVELUE

Elle siège sur les bords de la langue, sous la forme de lésions leucoplasiques en stries verticales asymptomatiques, mal limitées et irrégulières. Il s’agit d’une manifestation buccale de l’infection par l’EBV, au cours de l’infection par le VIH. En l’absence de gêne fonctionnelle, elle ne nécessite pas de traitement.

4 - DYSKÉRATOSES CONGÉNITALES ET HÉRÉDITAIRES

4.1 - WHITE SPONGE NÆVUS

Hamartome de transmission autosomique dominante, qui apparaît dans l’enfance.

Il se caractérise par des plaques leucoplasiques à surface irrégulière, souples, siégeant principalement sur les joues, plus rarement sur le palais, la langue et le plancher buccal.

Ces lésions persistent indéfiniment chez l’adulte, mais n’ont aucun risque à une évolution maligne ; elle ne nécessite aucun traitement.

4.2 - DYSKÉRATOSE INTRA-ÉPITHÉLIALE BÉNIGNE HÉRÉDITAIRE

Cette maladie héréditaire est caractérisée par une conjonctivite bulbaire hyperémique , qui peut entraîner la cécité, et par des lésions leucoplasiques en plaque de la muqueuse buccale. Il n’y a aucun risque de cancérisation

4.3 - DYSKÉRATOSE CONGÉNITALE

La dyskératose congénitale ou Sd de Zinsser-Engman-Cole, est une maladie très rare, liée à un déficit de l’activité télomerase, dont la forme classique est liée à l’X, atteignant les garçons. Elle se caractérise, au niveau buccal, par l’apparition de lésions leucoplasiques survenant entre 5 et 14 ans. Une dégénérescence maligne de ces lésions buccale n’est pas rare et est à craindre après 10 à 15 ans d’évolution, d’où la nécessité d’examens périodiques pour déceler les signes d’une transformation. Aucun traitement efficace n’est rapporté, sauf les rétinoïdes au long cours mais qui sont très mal tolérés aux doses efficaces. Cette affection se caractérise aussi par l’apparition au cours de la 2 éme décade de la vie de troubles hématologique essentiellement à type d’aplasie médulaire. 

5 - CONCLUSION

Les lésions blanches de la cavité buccale correspondent à des lésions cliniques relevant de plusieurs étiologies dont la principale est liée à l’intoxication tabagique chronique. les leucoplasies coïncident à des lésions histologiques de gravité variable, allant de la simple hyperplasie épithéliale bénigne à un carcinome épidermique déjà invasif, en passant par tous les degrés de néoplasie intra-épithéliale. Un examen histologique est donc indispensable avant d’envisager leur prise en charge. 

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